Date : 30 DEC 1993
EXCLUSIF: DASSAULT ET LE GIATT, CIBLES DE LA CIA
Poussee par les industriels americains, la CIA mene une
campagne de presse sans precedent contre la France et son
industrie militaire. Pourtant, lorsque Israel est pris la
"main dans le sac", curieusement la presse americaine se garde
de trop couvrir l'evenement. Recit d'une desinformation tres
"haute technologie".
ENQUETE AUX ETATS UNIS DE NOTRE CORRESPONDANT PIERRE JOVANOVIC
"Je ne vais cartainement pas aller exposer au Bourget... Pour
me faire espionner par les Francais? Pas question". Cette
reflexion de Jack Singelton, president d'une PME qui travaille
dans le secteur de l'electronique aeronautique illustre la
paranoia qui s'est emparee des patrons americains. Une
couverture de presse sans precedent a reussi a imposer dans la
tete des decideurs yankees l'idee que les Francais savent
faire autre chose que des parfums et des cuisiniers. Et pour
retrouver une campagne de presse semblable, on doit remonter
aux annees 70 lorsque l'industrie aeronautique americaine,
decouvrant le Concorde, a reussi a lui interdire le survol de
son territoire, soi-disant parce que l'avion etait trop
bruyant. "A chaque fois que les Americains estiment que les
Francais les genent dans un domaine, ils organisent avec leurs
services de renseignement des campagnes de presse, campagnes
auxquelles ces idiots de Francais ne savent meme pas repondre"
remarque un diplomate allemand en poste aux Etats-Unis.
Cette fois-ci, les cibles semblent etre claires et
precises: les industries francaises de l'aeronautique et de
l'electonique militaire qui genent non seulement les
Americains a l'export, mais aussi Israel. Et Dassault et le
GIAT sont les cibles prioritaires de cette campagne de presse
destinee a les discrediter, a defaut de prouver que le Mirage
2000 ou le char Leclerc sont techniquement inferieurs aux F-15
ou aux Abrams. D'ailleurs, ni la CIA, ni le FBI n'ont pris la
"main dans le sac" des espions francais ce qui aurait en
partie justifie une telle couverture de presse.
En revanche, lorsque trois officiers israeliens sont,
eux, pris la main dans le sac en train de voler, au sens
propre du terme, des documents contenant des secrets
industriels militaires americains, on ne retrouve pas une
couverture de presse semblable. Pire, lorsque la societe
victime de l'espionnage israelien est obligee de licencier 200
personnes (sur 1000), consequence directe du vol, on ne trouve
aucune trace dans les autres journaux americains hormis le
quotidien local, le Chicago Tribune. Rien sur l'affaire ni
dans le Wahington Post, ni dans le Los Angeles Times. Le
Quotidien a verifie meme dans le Miami Herald (le quotidien de
Floride qui a recu la lettre anonyme contenant la liste
prioritaire des entreprises et administrations americaines
soi-disant visees par la DGSE) et, surprise, on trouve bien un
article sur cette affaire, un seul, mais titre "ISRAEL DENIES
SPY CAMERA THEFT".
Le Miami Herald s'etait bien garde
d'envoyer un journaliste a Barrington, une grande banlieue de
Chicago, pour enqueter chez Recon-Optical Inc: il a simplement
"colle" la depeche envoyee sur le fil par le correspondant
l'Associated Press a Tel Aviv!!! Quant a l'article, il
explique simplement que le ministre de la defense israelien
dement toute participation dans le vol des plans d'une
camera-espion developpee par une firme de l'Illinois, sans
autre precisions. Curieux pour une veritable affaire
d'espionnage, d'autant que les membres du service de securite
de Recon-Optical ont decouvert dans les sacoches et mallettes
des trois israeliens 50.000 pages (!) de documentation
technique (electroniques, logicielles et telemetriques) d'une
camera de reconnaissance aerienne top secret capable de
photographier au sol le visage d'un homme, eclaire par sa
seule cigarette, a 160 kilometres d'altitude!! Role du Mossad,
transmettre ces plans a une compagnie israelienne afin qu'elle
puisse les fabriquer elle-meme.
Et si le ministre israelien de la defense nia a l'epoque
toute participation de ses services dans cette affaire (dixit
la depeche de l'AP publiee par le Miami Herald), cela ne l'a
pas empeche en 1993 de payer (discretement) rubis sur l'ongle
3 millions de dollars (environ 18 millions de Francs) de
dommages et interets a la societe Recon-Optical, a condition
que celle-ci retire sa plainte. Eh oui, il y avait meme une
plainte devant la Justice. Mais nul trace de cet arrangement
dans le Miami Herald. On ne trouve que 6 lignes dans le
magasine "Times" du 22 fevrier 1993.
"Il est clair que cette campagne de presse arrange aussi
bien les Americains que Israel", commente un ingenieur
francais. "Lorsque la France vend des avions et/ou des chars a
des pays arabes a la barbe et au nez des Americains, on met en
colere aussi bien Israel que les Etats-Unis. Il semble que nos
resultats a l'export les aient ulceres. On peut parer une
attaque. Mais menee par deux pays, cela devient difficile et
il semble que maintenant les Anglais aient, eux aussi, des
comptes a regler" (allusion aux revelations du quotidien "The
Independent" du 19 mai 93 accusant la DGSE d'espionner les
industries aeronautiques britanniques).
"Vous savez, ce que les Americains detestent le plus,"
explique au Quotidien un cadre de General Dynamics, "c'est
perdre de l'argent. Lors du "marche du siecle" (marche
remporte en Belgique en 1975 par General Dynamics avec les
F-16), presque tous les matins j'avais sur mon bureau des
notes secretes du ministere de la defense francais. Parfois on
avait aussi des notes du ministere belge. On devait les faire
traduire. C'etait tres pratique parce que les deux pays
utilisaient la meme langue. Je n'ai jamais su comment ma
compagnie ou la CIA arrivait a obtenir ces notes classifiees
et je prefere encore aujourd'hui ne pas le savoir. La CIA
avait tres bien fait son travail pour empecher les Francais de
vendre leurs Mirages. A Paris on avait meme pousse le luxe
jusqu'a engager comme "consultant" un general d'aviation a la
retraite qui nous a aide dans les traductions parce que
c'etait des terminologies extremement complexes. J'avais
appris plus tard que ce general a ete "pousse" sous un bus
quelque mois apres. ".
Alors pourquoi la CIA mene-t-elle aujourd'hui cette
campagne de presse accusant Paris de tous les maux alors
qu'elle meme n'a jamais hesite a espionner les societes
francaises? Idem pour les britanniques qui eux non plus
n'avaient pas hesite a essayer de brouiller sur le sol
francais (sic) toutes les demonstrations du RITA (systeme de
telephones militaires a technologie cellulaire de Thomson). La
reponse semble bien se trouver dans le bureau du nouveau
patron de la CIA, R. James Woolsey qui a dit "avec la fin de
la guerre froide, la CIA doit entrer dans l'ere de
l'espionnage economique". En langage d'espion, cela veut dire
que desormais la CIA rendra beaucoup de services aux
entreprises americaines qui prendront la peine de lui demander
un "coup de main" aussi bien en contre-espionnage qu'en
espionnage pur. Mais le discours de Woosley est surtout
destine a faire passer en douceur le budget de la CIA, budget
qui a divise les senateurs en deux camps. Le premier, mene par
le senateur democrate (et ancien militaire/ astronaute) John
Glenn de l'Ohio, soutient Woosley en affirmant que "compte
tenu de la periode de changements et d'incertitudes
geo-politique actuels, le pays a plus que jamais besoin d'un
systeme de renseignement parfait, dote d'un budget robuste".
Le second en revanche entend que Bill Clinton maintienne ses
promesses, a savoir une coupe de 1 milliard de dollars en 1993
et 4,7 milliards d'ici 1997. Le patron de la CIA, soutenu par
la moitie des sentateurs du Congres, a sans doute pense que
quelques preuves de l'espionnage francais, grimpant comme le
lierre, convaincrait l'autre moitie. Et franchement, quel
depute francais aurait imagine que la DGSE disposait d'autant
de moyens financiers pour espionner une centaine de cibles
dont la moitie ne presente qu'un interet franchement mineur
comme par exemple les compagnies d'assurances americaines ou,
plus drole, le Fond Monetaire International... Pourquoi pas
le couvent des dominicains de Malibu Hills?
En tout etat de cause, l'operation de desinformation a tres
bien fonctionne puisque meme le "American Banker" s'est alarme
de cette invasion de "french spys" et met en garde les
institutions financieres contre la France. Bravo a la CIA.
Pierre Jovanovic.